Plume d'ange

 

Plume d'ange

Vous voyez cette plume ?

C'est une plume d'ange. Je ne vous demande pas de me croire, mais écoutez une dernière fois, mon histoire.

Une nuit, je faisais un rêve désopilant, quand je fus réveillé par un frisson de l'air.
J'ouvre les yeux. Que vois-je ?
Dans l'obscurité de ma chambre, des myriades d'étincelles qui s'en allaient rejoindre, par tourbillonnements magnétiques, un point situé devant mon lit. Rapidement, de l'accumulation des ces flocons aimantés, phosphorescents, un corps se constituait.
Quand les derniers flocons eurent terminé leur course, un ange était là, devant moi.
Un ange réglementaire, avec ses grandes ailes lactées.
Comme une flèche d'un carquois, de son épaule, il tire une plume et me dit : -C'est une plume d'ange, je te la donne. Montre-là autour de toi. Qu'un seul humain te croie et ce monde malheureux s'ouvrira au monde de la joie. Et l'ange disparut.

Dans le noir, je restais longtemps, lissant la plume ...

Au petit matin, je filais chez mon ami le plus sûr.
Je sonne. Voici mon ami André. Posément, avec précision, je vidais mon sac biblique, mon oreiller céleste. André se massait pensivement la tempe. Il me fit un sourire ému et m'expliqua que moi, sensible, enclin au mysticisme sauvage, devais reconsidérer cette apparition.
Le repos, l'air de la campagne, avec les oiseaux, les vrais.

Je me retrouvais dans la rue grondante. Que dire ? Que faire ? Je marchais, je marchais, dévorant les visages. Celui-ci ? La petite dame ?
Et soudain, l'idée m'envahit, évidente, éclatante. Abandonnons les hommes ! Adressons-nous aux enfants !
Je marchais, je marchais encore, je volais.

Je me fige devant une école. Quelques femmes attendaient la sortie des gosses.
Faussement paternel, j'attends moi aussi. Les voilà. Ils débouchent de la maternelle par fraîches bouffées, par bouillonnements bariolés.
Sur le seuil de l'école, une petite fille s'est arrêtée. Dans la vive lumière, elle clique ses petits yeux de jais, un peu bridés, un peu chinois.
Alors j'ai suivi la boule brune et bouclée de sa tête.
Le lendemain, je revins à la sortie de l'école, et le surlendemain et les jours qui suivirent. Elle s'appelait Fanny. Mais je ne me décidais pas à l'aborder. Et si je lui faisais peur ... Et puis un jour, j'ai précipité mon pas, j'ai tendu la main vers la tête frisée.
Au moment où j'allais l'atteindre, sur ma propre épaule, une pesante main s'est abattue. Je me retourne.

Ils étaient deux -Suivez-nous.
Le commissaire était bon enfant. - Alors, comme ça, on suit les petites filles ?
Je sors la plume, et j'y vais de mon couplet nocturne et miraculeux.
- Vous allez patienter un instant. On va s'occuper de vous. Gentiment.

On s'est occupé de moi. Gentiment. Entre deux électrochocs, je me balade dans le parc de la clinique psychiatrique où l'on m'héberge depuis un mois. Parmi les divers siphonnés qui s'ébattent et s'abattent sur les aimables gazons, il est un être qui me fascine.

C'est un vieil homme, très beau. Il se tient toujours immobile, dans une allée du parc, près d'un cèdre du Liban.
Aujourd'hui nous sommes amis.
C'est un type surprenant, un savant, un poète. Vous dire qu'il sait tout, a tout connu, senti, appris, percé, perçu, c'est peu dire. De sa barbe massive, un peu verte, aux poils épais et tordus, le verbe sort, calme et fruité, abreuvant un récit où toutes les mystiques, les musiques, les philosophies, les sciences humaines s'unissent, se rassemblent pour se ressembler dans le puits étoilé de sa mémoire.
Parfois il se tait et me contemple en souriant. Des plis de sa robe de bure, il sort des noix, pour me les offrir.

Un jour où il parle, je ne l'écoute plus.
Un grand silence se fait en moi. Mais cet homme dont l'ange t'a parlé, cet humain qui peut croire à ta plume, il est là, devant toi.
Sans hésiter, je sors la plume. Les yeux mordorés lancent une étincelle. Il examine la plume avec une acuité qui me fait frémir de la tête aux pieds.
- Quel magnifique spécimen de plume d'ange, avez-vous là, ami.
- Alors, vous le savez, vous me croyez ?
- Parbleu je vous crois. Le tuyau légèrement cannelé, la nacrure des barbes, on ne peut s'y méprendre.
- Mais alors, puisqu'il est dit qu'un homme me croyant, le monde est sauvé !
- Je vous arrête, ami. Je ne suis pas un homme.
- Vous n'êtes pas un homme ?
- Nullement, je suis un noyer.
- Vous vous êtes noyé ?
- Non. Je suis un noyer. L'arbre. Je suis un arbre.

Il y eut un frisson de l'air. Se détachant de la cime du grand cèdre, un oiseau est venu se poser sur l'épaule du vieillard, et je crus reconnaître, miniaturisé, l'ange malicieux qui m'avait visité. Tous les trois, l'oiseau, le vieillard et moi, nous avons ri. Nous avons ri longtemps, longtemps.

Claude Nougaro

 

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